Etre soi

Je ne voulais plus connaître la peur, la honte, la solitude, le mensonge et la trahison. Je voulais vivre dans la confiance, l’acceptation, l’union, l’honnêteté et l’authenticité.

Thierry Janssen  – Confidences d’un homme en quête de cohérence

Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse.

Friedrich Nietzsche cité par Thierry Janssen dans le même livre

Des questions toujours un peu les mêmes mais le tourbillon en révèle parfois d’autres facettes. Au fond pourquoi est-ce si difficile d’être soi, si c’est le programme d’une vie terrestre ? Et surtout, comment se fait-il que l’humanité en chemin ne soit pas plus performante pour donner les moyens d’y arriver ? Les jours gris, il me semble même que ce soit le contraire : les pièges sont plus nombreux.

Comment parler de rêves et de désillusions en n’éludant pas les méandres mais en tissant la matière de son être profond ?

Une autre matinée grise dans une chambre bien connue. Le rendez-vous avec l’oncologue hier. Un corps qui réagit fort au traitement au point de devoir postposer la cure d’une semaine. Sur le fond, une évolution satisfaisante mais, dans les faits, une incertitude sur les moyens, sur la durée : les uns en fonction de comment le corps réagit, l’autre, des mois, des années…peut-être…  Réponse évasive révélant en creux et rétrospectivement que l’ennemi a vraiment frappé fort et qu’il ne faut pas sous-estimer la moindre des embuscades. Le combat sera long, parfois sournois, il fallait l’admettre.

La fin de l’histoire, on la connaît. Le « quand ? » est l’inconnue. Et le « comment ? », d’ici là, l’unique et personnelle réponse vivante.

On la rêve apaisée, harmonieuse, vibrante d’amour…

Surtout ne pas s’engager sur la voie de l’apparence, de l’écart entre le rêve et la réalité.

Revenir vite à ce qui se passe là maintenant. La sensation de doigts froids qui frappent un clavier, les pieds au chaud sous la couverture. Le devoir d’un peu s’activer en vue d’un rendez-vous avec l’homéopathe. Et toujours ce sale goût dans la bouche.

L’après-midi, une éclaircie. Avec le vent, les nuages, un air de mer s’invite en ville.

Les cheveux commencent à bien repousser même si la perruque est encore nécessaire. D’ici un mois ou deux, je pourrai m’en passer. J’ai hâte de quitter ma tête de garçon manqué.

Il fait étrangement calme dans l’appartement, rythme d’un tic-tac et passage  de voitures pour tout accompagnement sonore.

Je vous écris d’une bulle suspendue entre plusieurs nuages.

Agathe Maldiemme

Froid et pollué

Une matinée à rester allongée. Le plafond est bas. Il m’est bien difficile de ne pas en sentir la résonnance. Je suis entrée dans le sixième mois de traitement. Et même si la forme en est un peu allégée, mon corps réagit à cette durée.

Envies de printemps, de fleurs des champs et obligée au rétrécissement. Une réalité impose sa loi.

Je me plonge dans la musique, la lecture, les pensées, les rêves pour nourrir la patience.

Pas de désespérance. Certitude instinctive de l’ours enregistrant l’indéniable allongement des jours. L’hibernation aura une fin.

Il faut pouvoir s’arrêter suffisamment longtemps, se mettre en vacances du rythme effréné du monde d’aujourd’hui pour  l’écoute d’un bruissement de vie autrement plus réelle que celle recherchée pour combler nos angoisses. Se mettre à l’écoute comme le vigile du haut du bateau apercevait une terre ferme bien avant les autres. Avec l’intuition comme gouvernail et le coeur pour y noter les observations.

Voyage à travers les paradoxes. En compagnie de poètes qui laissent entrevoir la chaleur de vibrations, de signes qui apaisent tous les cris.

Des nuits plus belles que certains jours, d’une autre manière.

Vague souvenir d’une émission de radio entendue dans les années ’80. Une jeune femme, habitant en ville, marchait sur les toits la nuit. Les voisins en étaient dérangés. Ils la trouvaient folle. L’émission laissait la place à chacun. La jeune femme parlait de ces escapades comme un enfant de la campagne s’échappant dans le champ d’à côté, explorer quand tout le monde dort. Comme un chat aussi, gracile et curieux.

Que serait une vie sans folie ?

Et vous quelle est la vôtre ? Je vous écris, cette question me brûlant les lèvres.

Agathe Maldiemme

It’s wild world (air connu)

Comment rester humain dans la jungle des villes ? La question n’est pas neuve et beaucoup y répondent en s’éloignant, en se protégeant, en essayant de renverser le rapport de forces.

A l’opposé, il y a l’attitude du Dalaï Lama qui, quand on lui demande ce que lui évoque l’injustice  du peuple chinois à son égard, répond avec un sourire DESARMANT : ils m’ont déjà tout pris, je ne vais pas en plus leur donner mon âme. Je leur envoie des pensées d’amour.

Entre les deux, oscillant de l’une à l’autre position et passant par une panoplie d’émotions déstabilisantes, une petite dame agressée refait dans sa tête le bilan d’un fait divers, devenu tellement banal. Dans les faits, pas trop grave mais blessant à un autre niveau.

Quelques heures en arrière. La station de métro Louise, 17h15. Il y a du monde sur le quai. Une rame arrive et s’arrête. Les portes s’ouvrent et, devant celle vers laquelle elle se dirige, des jeunes attirent son regard et la mettent mal à l’aise. Les derniers temps, son état de santé fragile la fait fuir l’énergie, l’arrogance, le bruit de la jeunesse dans l’exiguïté des transports en commun. Elle se dirige vers une autre porte devant laquelle il y a nettement moins de monde. Au moment où elle monte, elle se fait bousculer sans raison apparente et elle reconnaît le petit groupe qu’elle a fui. Un garçon passe devant elle en s’excusant, elle le suit du regard et sent la présence des autres derrière elle. Les portes se ferment et ceux qui sont derrière elle les rouvrent subitement en rigolant. Ils sortent et restent sur le quai dans une attitude étrange. Très proches l’un de l’autre comme s’ils se montraient quelque chose. Le métro démarre et la dame a une intuition, elle regarde dans son sac et fouille : son portefeuille a disparu.

Intérieurement, c’est la panique, les questions sur LA chose à faire : descendre, aller les retrouver, continuer son chemin, rentrer à la maison, mais non, il faut aller à la police… oui, mais où ? A Arts-Loi, elle demande conseil au guichet et on l’envoie à Rogier. C’est fermé. On lui renseigne alors le bureau de police de la gare du Nord. Mentalement, elle évalue les pertes : papiers (cartes d’identité, de banque, sis, de fidélité, bibliothèque, …) et des photos surtout. Il n’y avait pas d’argent liquide, à peine deux, trois euros en pièces. Elle a toujours son abonnement, son gsm, ses clés… Elle pense à téléphoner pour faire opposition sur la carte de banque.

Au commissariat, elle s’efforce de décrire le mieux possible cet instant fugace. Le policier lui dit que les caméras vérifieront sans doute ce qu’elle mentionne et, si les jeunes commettent d’autres délits, la cellule identification donne en général de bons résutats. Il lui laisse peu d’espoir sur la récupération des objets par contre.

A la maison, elle raconte ce qui vient de lui arriver . C’est l’occasion d’échanges sur la vengeance, les endroits qu’on fréquente, ce qu’on porte et qui peut être une tentation, la facilité de s’en prendre à un plus fragile, plus petit, de s’y mettre à plusieurs…

Elle va se coucher mais le sommeil s’éloigne devant les questions qui se bousculent. Est-elle vraiment sûre de ce qui s’est passé ? Peut-être que ces jeunes n’avaient rien à voir, que c’est sur l’escalator… Et si on les retrouve, les reconnaîtra-t-elle formellement ? Et si elle porte plainte et qu’elle se retrouve face à eux, que pourrait-elle dire pour retrouver sa dignité ?

Ronde inutile pour évacuer une tension bien réelle. Elle se sent comme l’animal affaibli du troupeau sur qui fonce le fauve.

Le lendemain, elle parvient à relativiser. Les démarches administratives pour remplacer les papiers volés sont embêtantes mais franchement, elle s’en sort bien.

Je vous écris d’une expérience peu agréable mais surmontée et n’entamant pas l’envie de regarder vers le bright side of life (air tout aussi connu).

Agathe Maldiemme

Une nouvelle contrainte

Quelques jours sans rien écrire…

Pas que je n’avais rien à dire. Au contraire. Trop à dire. Trop d’émotions contradictoires dans une période trop chargée de contresens. Trop de désordre et pas envie d’y mettre une hiérarchie, de jeter le moindre indice, ne sachant ce qui peut servir et à quoi.

La période des fêtes n’a jamais vraiment été la période des fêtes pour moi ou alors, parfois, tout-à-fait par hasard.

Cette année, par la force de la situation, j’ai été contrainte au repos, au modéré, rassemblant mes forces pour reprendre mes responsabilités de marraine. Etre à la hauteur et quand même respectueuse de mes limites. Heureusement, avec mon filleul, nous partageons l’attrait des belles histoires, des beaux films. Et les mots nous aident à nous expliquer nos petites et grandes déceptions face aux questions de tous ordres. Dire nos plaisirs aussi. Nos rêves.

Au coeur de cette année naissante, un désir tellement fort que supersticieusement tu.

J’ai repris le chemin du taiji. Pour vérifier mon être dans ce mouvement-là. Et donner la direction. Il me semble y avoir senti la transformation, la mutation, le désencombrement en-dessous de la fatigue. Et de la joie.

Mardi, j’ai revu l’oncologue pour un bilan. Les nouvelles sont bonnes. On a pu changer le traitement, supprimer un des deux produits. En principe, l’hospitalisation est terminée. Je continue avec quelque chose de plus soft. De la chimio quand même, mais en infusion deux semaines sur trois, via un genre de cartouche reliée au porte-à-cath. Seule contrainte, et non des moindres : vérifier que le pansement collant le tube contre ma peau tient. C’est la chaleur de ce contact qui permet au liquide de couler.

Les jours rallongent, mes cheveux repoussent.

Ce matin, un rayon de soleil suivi d’un peu de moins gris.

Aller m’acheter des bottes pour affronter les averses de neige annoncées et encore de saison.

Je vous écris tout simplement.

Agathe Maldiemme