T’ai-je dit ?

T’ai-je dit que ton sourire m’aidait à tenir ? Que, quand rien ne m’apaise, sa seule évocation adoucit la rudesse des jours ?

T’ai-je dit qu’il y a au fond de moi une foule de souvenirs, vivaces, tenaces, qui me font traverser les déserts les plus impitoyables ? Et que te regarder me les ramène en pagaille. Les courses folles à vélo, la caresse des vagues, les fous rires, les chansons douces et la musique qui vient des tripes, l’émotion d’un bébé dans les bras, les couchers de soleil sur une plage de galets en Irlande, la rencontre avec des biches dans la forêt, les mouvements de taiji entre les arbres, la simplicité d’un repas fumant, l’odeur de la pluie dans la montagne après une descente précipitée, la douceur du soleil grec à la fin de l’été, le son bienfaisant d’un enfant qui dort, la danse qui défie la pesanteur des épreuves, les mots partagés qui consolent, les nuits blanches, l’aube, une felouque glissant le long d’Elephantine, le vol des oies sauvages dans la banlieue de Québec, le temps d’une rencontre, la clarté d’un matin clouée dans un lit, la peur apprivoisée, une explosion de traces de peinture, la chaleur de la terre sous la main, les habits gris et les rêves en couleurs…

T’ai-je dit que ton écoute m’aide à me retrouver quand tout s’organise pour que je me perde ? Et que tes paroles ne sont jamais aussi bienfaisantes que quand tu balbuties humblement tes parcours sinueux. La lumière de ton regard, le timbre de ta voix me font voyager vers des paysages familiers et de nouveaux territoires d’exploration.

T’ai-je dit que ta présence me parvient au-delà d’une réalité tangible ? Qu’elle me fait chaud au coeur quand je sens que tu vis ce qui te grandit.

T’ai-je dit que respirer me met en contact avec une force, une lame de fond qui réunit les espaces et les temps et que ce temps de dépouillement ne me révolte plus.

Je vous écris d’un silence dont le sillage frémit d’intensité légère.

Agathe Maldiemme

Une après-midi d'été dans la forêt

Le froid arrive

Le mois de novembre a été particulièrement doux. Cela ne pouvait durer. Le froid, la neige s’annoncent.

Le vent du week-end a fait un nettoyage dans les feuilles qui tenaient sur les branches par habitude. La vie naturelle semble avoir quitté la surface de la terre.  Elle nidifie, pour mieux se rassembler en son noyau, faisant bon usage de ces mois cachés.

La tentation est de vouloir déjà apercevoir les frêles pousses, de sentir la douceur d’un air vibrant. Patience !

Chaque étape a son importance. Et l’essentiel est invisible pour les yeux.

Gris, brouillard, lune implacable dans un ciel froid, feuilles qui crissent sous les pas, fumées s’élevant au loin, charme d’une saison toute en intériorité. Souvenir de chevaux galopant au loin. Pulls chauds, écharpe, bonnets, plaid enveloppant dont émergent des mains qui tiennent un bol aux senteurs bienfaisantes. Musique chaude.

Ce qui aide à tenir, ce sont tous les instants vécus qui nourrissent le mouvement de vie. Ce qui n’a peut-être pas eu l’air de se passer mais a eu lieu quand même. Ces rencontres fugitives dont il semble ne rester aucune trace. Ont pourtant tissé la trame d’une existence unique. En concoctent le parfum. En distillent la fragrance.

Comment renoncer aux surprises de cette proposition-là ? Plonger dans ce qui est sous les doigts et se détourner du moindre projet s’il vient contrecarrer le flux. Croire que les deuils ne sont qu’une étape vers un à-venir prometteur.

« Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ? » Marguerite Yourcenar met ces paroles dans la bouche de Zénon dans L’oeuvre au noir.

 

Je vous écris d’une fin de mois de novembre presqu’ordinaire.

Agathe Maldiemme

 

Scènes d’un nouvel épisode de chimio

L’imprévu, l’imprévisible se cache dans les moindres recoins de la vie de malade. Ma cinquième rentrée à l’hôpital, programmée, ne s’est absolument pas déroulée comme les autres. Des retards accumulés permettant de conquérir haut la main le titre de patiente m’ont plongée dans divers ressentis peu agréables et confortables.

La prise de sang tout d’abord : c’est l’épreuve de base, celle sans qui aucun traitement ne peut commencer. Quand on a les veines qui roulent et qui sont abîmées par plusieurs sollicitations, elle est  appréhendée comme un mauvais moment à passer, qui sera peut-être allégé par la dextérité de la piqueuse. Pas de chance, hier ce n’était pas le cas. Après l’un ou l’autre essai infructueux, les tubes se remplissent pourtant et je reprends une respiration profonde. Je m’installe sans déballer ma valise puisqu’il me faut attendre le feu vert de l’analyse. L’infirmière revient, dix minutes après, me disant qu’elle doit recommencer parce qu’elle n’a pas lu son papier et qu’il faut deux tubes en plus. Elle essaie sur le dos de la main, ce qui est plus douloureux. A nouveau, plusieurs essais avec une douleur ressentie jusqu’au pied.

Je lis pour apprivoiser l’attente et ma voisine de chambre qui déjeûnait entame la conversation. Cela me permet de juger très vite qu’elle a des côtés sympathiques mais qu’il me faudra mettre des limites pour ne pas me sentir envahie par cette promiscuité. Elle évoque le fait de sortir dans la journée et me prend le désir luxueux d’espérer être seule pour la nuit.

L’oncologue de l’étage vient me voir pour m’interroger sur ce qui s’est passé depuis le dernier traitement. Je ne me sens pas vraiment entendue sur ce qui a été mes réelles difficultés mais plutôt sur d’autres possibilités d’interventions médicamenteuses. Pour mes réticences, je sens peu de respect. J’apprends aussi que mon médecin oncologue a « oublié » de faire la prescription pour le traitement et qu’il faudra attendre son aval. Pour l’analyse sanguine, il faut, de toutes façons, attendre parce qu’une machine est en panne.

Je suis arrivée vers 8h30 et à midi, j’apprends que les résultats de la prise de sang sont bons mais qu’il faudra attendre la visite de l’oncologue. Elle arrive vers 14h. Suite aux ennuis éprouvés récemment, elle prescrit une échographie du bassin pour le lendemain en plus de l’irm prévue. Il ne reste qu’à commander les doses de chimio au service pharmacie et on peut la lancer.

La chimio elle-même a commencé vers 17h.

Après le souper, je me suis effectivement retrouvée seule dans la chambre. Je savoure cet oasis de mieux-être. Je lis. Mazarine Pingeot m’accompagne et me rejoint dans l’expérience d’étrangeté liée à une atmosphère de secrets, tabous et autres mensonges, par omission parfois. Que celui qui ne s’est jamais senti profondément isolé et différent, enfant, lui jette la première critique.

Vers 20h, une sensation de froid sur la hanche droite attire mon attention et je découvre une énorme flaque de sang. J’appelle immédiatement l’infirmier. En fait, un des robinets par lequel passe la chimio est cassé.Le produit ne passe donc plus et il y a reflux de sang. Incident mineur, sauf qu’il a fallu changer le tuyau, et donc repiquer dans le porte-à-cath, changer mon pijama, les draps et que j’ai dû laver la tâche sur mon peignoir, n’en ayant évidemment pas de rechange. Le temps de faire tout cela, la chimio a été arrêtée pendant une demi-heure. Ce qui veut dire, dans le meilleur des cas, si plus aucun obstacle ne vient se dresser sur mon parcours, qu’au lieu de sortir vendredi vers midi, je peux espérer ma délivrance vers 19h.

Depuis l’été, je glisse vers une intériorité qui me fait parfois me juger égocentrique. Il me faut faire appel à toutes les phrases de bienveillance, glânées ça et là, précieuses,  pour m’autoriser à le faire.  Parmi elles, « Si, je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si ce n’est pas maintenant, quand ? Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ? » phrase d’un soufi, reprise en chanson par Maxime Leforestier.

La troisième partie attendra un peu, que mes forces soient revenues, que j’aie traversé, que je revienne plus dépouillée, permettant une meilleure place à la rencontre.

En attendant, j’apprécie le luxe d’une chambre seule depuis hier 17h. Cela ne saurait durer, je suis forcée de vivre instant après instant.

Je vous écris d’un point où seules l’authenticité et l’acceptation donnent vie.

Agathe Maldiemme

Après quelques nuits sans dormir…

Trois exactement. Avec des souffrances lancinantes et incessantes dans la jambe droite, surtout au niveau du genou et de la hanche, et l’impossibilité de me coucher. L’incompréhension aussi sur l’origine de ce mal. Et rien qui permette de l’atténuer.

Une visite chez l’homéopathe. L’explication de cette manifestation de mon corps (des névralgies) qui commence à ne plus supporter… Et deux autres nuits plus potables avec la douleur qui s’estompe de temps en temps.

Le mal, les nuits sans sommeil… et les problèmes digestifs : quand les besoins de base ne peuvent être assouvis, il y a de quoi devenir fou. J’avouerais n’importe quoi !

Ce matin, le lever du soleil que j’aperçois de ma chambre me donnait une impression plus optimiste. Il vient d’être remplacé par un épais brouillard. Mais j’aime aussi le brouillard, cette sensation d’être entourée de coton. Cela me rappelle de vieux films anglais en noir et blanc et les week-ends de novembre à la mer. Un souvenir particulièrement fort : sur l’estacade à Ostende, il y a un brouillard à couper au couteau. En avançant, je perds tout contact avec la terre ferme. Le son du clapotis et une enveloppe presque palpable. Une ambiance de mystère fantastique. Comme dans un film de Delvaux, L’oeuvre au noir, je crois, quand Zénon se trouve face à la mer à la fin…

J’appréhende la semaine prochaine, la chimio et ses effets.

Je retrouve cette petite fille tapie à l’intérieur, apeurée et ne sachant qui ou quoi appeler pour l’aider à surmonter, réalisant qu’elle devra faire face, seule. Elle se redresse au dernier moment et attend. Peut-être que rien de pire n’arrivera.

Le cauchemar de vouloir fuir le cauchemar, de ne pas y arriver et de tomber, à chaque fois, dans un cauchemar encore plus subtil.

Il semble qu’une éclaircie se dessine. La radio annonce que le brouillard devrait se lever…

Je vous écris d’un désir de baisser les armes.

Agathe Maldiemme

 

Traversée de questions

Est-ce le ciel plombé et ma tête dans le miroir ? Je plonge dans une réflexion sur la honte. Mon fils, l’autre jour, m’a demandé instamment de mettre un foulard avant de faire entrer un ami et je l’ai compris. La plupart du temps, je mets moi-même un soin particulier à n’indisposer aucun regard étranger (éventuellement seulement celui de l’infirmière de nuit, à l’hôpital, que j’imagine plus compréhensive). Ma tête de collaboratrice, de malade en tous cas, immédiatement percée à jour, je la cache sous une perruque ou un foulard.

Bien sûr, en fait, je me protège d’un jugement  dont je ne pourrais me défendre, comme si j’avais fauté mais sans connaître la nature exacte de mon implication.

Le sentiment de honte, je le connais bien. Depuis l’aube, il me colle à la peau. Peut-être qu’il me précède ? Les trous dans ma généalogie, dans les paroles autour de mes origines laisse planer un climat gluant qui m’a tant obligé à baisser le regard.

Les situations de honte, je les connais aussi. Les ai-je recherchées ? Pour me dédouaner, pour faire coïncider l’intérieur et l’extérieur, ou pour refuser de participer à un cirque de réussite sociale ?

Curieuse époque où sous prétexte d’évolution et de progrès,  réussir sa vie est d’une pression insidieuse : être épanoui dans sa vie de femme (ou d’homme), de famille, son métier, ses loisirs et si pas, c’est qu’on n’est pas assez positif, qu’on n’a pas rêvé assez efficace, que sa maison n’est pas assez feng-shuisée, … Trop grosse, trop âgée, pas assez entourée d’amis facebookiens, pas assez sexy…  aucune excuse n’est désormais valable pour ne pas introduire LE changement qui mettra fin aux affres de la souffrance.

Quelle place à l’hésitation, au balbutiement, au projet original fait de bric et de broc, d’aménagements quotidiens, de moments de doutes, de désert, d’angoisses existentielles, de conflits, d’erreurs, … mais aussi de grâces, de rencontres, d’amitiés, de pleurs, de rires et de rides racontant une histoire personnelle… Sans l’objectivité d’aucune addition ou soustraction pour venir évaluer le chemin parcouru.

Un échange d’émotions avec le vivant comme jauge d’intensité.

Résiste de France Gall aurait pu être l’hymne du jour et France Inter a programmé une journée Sigmund Freud, je vous quitte donc en vous écrivant d’une -malgré tout- curiosité insatiable pour l’aventure humaine.

Agathe Maldiemme

 

Un nouveau retour à la maison

Le bonheur d’entrer dans son lit, seule dans la chambre, dans le noir, sans autre bruit que celui de ma respiration, de mon soupir de détente en m’étirant…

En faut-il une situation de crise pour apprécier ces moments tout simples ?

Se réveiller après une nuit sans bip d’une machine signalant la fin d’une dose ou calée par une bulle d’air. Se lever, prendre son petit déjeûner, retourner dans son lit, écouter la radio, se rendormir un peu, lire… Apprécier un ciel gris de novembre, la permission de se retrouver, de ne prévoir qu’une « activité » à la fois jusqu’au prochain besoin du corps, que je ne devrai négocier qu’avec moi-même.

Cultiver sa vie comme on prend soin de son jardin. Chercher ce qui enrichit la terre, enlever les mauvaises herbes, permettre le meilleur ensoleillement sans oublier la nécessité des zones d’ombre bienfaisante. Arroser quand c’est nécessaire. Veiller selon le goût à la diversité des fleurs, des plantes, des arbustes, des arbres si on a la chance de jouir d’un grand espace. En aimer les couleurs, les formes, les nuances selon les heures du jour ou de la nuit, les changements de temps, les saisons. Et surtout, s’y poser pour vibrer à l’unisson.

Ce contre lequel je dois le plus lutter est le dégoût dans la bouche : qu’il ne contamine pas mes envies naissantes…

Le désordre du corps est une expérience troublante. Devoir soumettre une volonté tellement encline à projeter, à anticiper, à diriger,  à évaluer, juger, rejeter, tirer des conclusions. La volonté a trouvé plus forte qu’elle. Elle pose son genou en terre, s’incline et écoute. Il lui faut cette patience de disponibilité subtile. La réponse ne vient pas tout de suite et la plupart du temps de manière imprévue.

Quand la vie de malade se prolonge, le décalage entre ce monde et celui des actifs se creuse.

Mon obsession : rejoindre la force et la puissance intrinsèque et tenter de dire ce qui se devine dans l’ébullition de l’apparence, dans la lumière qui entoure le vivant.

Je vous écris d’une passion de peindre le banal avec des mots.

Agathe Maldiemme