L’imprévu, l’imprévisible se cache dans les moindres recoins de la vie de malade. Ma cinquième rentrée à l’hôpital, programmée, ne s’est absolument pas déroulée comme les autres. Des retards accumulés permettant de conquérir haut la main le titre de patiente m’ont plongée dans divers ressentis peu agréables et confortables.
La prise de sang tout d’abord : c’est l’épreuve de base, celle sans qui aucun traitement ne peut commencer. Quand on a les veines qui roulent et qui sont abîmées par plusieurs sollicitations, elle est appréhendée comme un mauvais moment à passer, qui sera peut-être allégé par la dextérité de la piqueuse. Pas de chance, hier ce n’était pas le cas. Après l’un ou l’autre essai infructueux, les tubes se remplissent pourtant et je reprends une respiration profonde. Je m’installe sans déballer ma valise puisqu’il me faut attendre le feu vert de l’analyse. L’infirmière revient, dix minutes après, me disant qu’elle doit recommencer parce qu’elle n’a pas lu son papier et qu’il faut deux tubes en plus. Elle essaie sur le dos de la main, ce qui est plus douloureux. A nouveau, plusieurs essais avec une douleur ressentie jusqu’au pied.
Je lis pour apprivoiser l’attente et ma voisine de chambre qui déjeûnait entame la conversation. Cela me permet de juger très vite qu’elle a des côtés sympathiques mais qu’il me faudra mettre des limites pour ne pas me sentir envahie par cette promiscuité. Elle évoque le fait de sortir dans la journée et me prend le désir luxueux d’espérer être seule pour la nuit.
L’oncologue de l’étage vient me voir pour m’interroger sur ce qui s’est passé depuis le dernier traitement. Je ne me sens pas vraiment entendue sur ce qui a été mes réelles difficultés mais plutôt sur d’autres possibilités d’interventions médicamenteuses. Pour mes réticences, je sens peu de respect. J’apprends aussi que mon médecin oncologue a « oublié » de faire la prescription pour le traitement et qu’il faudra attendre son aval. Pour l’analyse sanguine, il faut, de toutes façons, attendre parce qu’une machine est en panne.
Je suis arrivée vers 8h30 et à midi, j’apprends que les résultats de la prise de sang sont bons mais qu’il faudra attendre la visite de l’oncologue. Elle arrive vers 14h. Suite aux ennuis éprouvés récemment, elle prescrit une échographie du bassin pour le lendemain en plus de l’irm prévue. Il ne reste qu’à commander les doses de chimio au service pharmacie et on peut la lancer.
La chimio elle-même a commencé vers 17h.
Après le souper, je me suis effectivement retrouvée seule dans la chambre. Je savoure cet oasis de mieux-être. Je lis. Mazarine Pingeot m’accompagne et me rejoint dans l’expérience d’étrangeté liée à une atmosphère de secrets, tabous et autres mensonges, par omission parfois. Que celui qui ne s’est jamais senti profondément isolé et différent, enfant, lui jette la première critique.
Vers 20h, une sensation de froid sur la hanche droite attire mon attention et je découvre une énorme flaque de sang. J’appelle immédiatement l’infirmier. En fait, un des robinets par lequel passe la chimio est cassé.Le produit ne passe donc plus et il y a reflux de sang. Incident mineur, sauf qu’il a fallu changer le tuyau, et donc repiquer dans le porte-à-cath, changer mon pijama, les draps et que j’ai dû laver la tâche sur mon peignoir, n’en ayant évidemment pas de rechange. Le temps de faire tout cela, la chimio a été arrêtée pendant une demi-heure. Ce qui veut dire, dans le meilleur des cas, si plus aucun obstacle ne vient se dresser sur mon parcours, qu’au lieu de sortir vendredi vers midi, je peux espérer ma délivrance vers 19h.
Depuis l’été, je glisse vers une intériorité qui me fait parfois me juger égocentrique. Il me faut faire appel à toutes les phrases de bienveillance, glânées ça et là, précieuses, pour m’autoriser à le faire. Parmi elles, « Si, je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si ce n’est pas maintenant, quand ? Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ? » phrase d’un soufi, reprise en chanson par Maxime Leforestier.
La troisième partie attendra un peu, que mes forces soient revenues, que j’aie traversé, que je revienne plus dépouillée, permettant une meilleure place à la rencontre.
En attendant, j’apprécie le luxe d’une chambre seule depuis hier 17h. Cela ne saurait durer, je suis forcée de vivre instant après instant.
Je vous écris d’un point où seules l’authenticité et l’acceptation donnent vie.
Agathe Maldiemme